INTERVIEW
Interview de D. Guillet – Association Kokopelli
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Univers-nature – C’est assez révélateur…
Dominique Guillet - Effectivement c’est assez révélateur d’un certain état skizofrénique de notre société !
Univers-nature – Si l’on se fait l’avocat du diable, n’avez vous pas l’impression de tourner le dos au progrès, de nier l’avenir, ne menez vous pas un combat d’arrière garde quelque part ??
Dominique Guillet - Il est évident que l’on ne va pas dire qu’une variété est superbe parce qu’elle est ancienne, ce que l’on veut dire c’est qu’un environnement est perpétuellement en évolution et que si les milliards et les milliards de dollars que l’on a mis dans la recherche sur les hybrides F1 depuis 1925, ou sur les OGM depuis une vingtaine d’années, on les avait mis dans l’amélioration et la sélection des anciennes variétés, où en serait-on en ce moment ?? c’est la question et c’est nous qui la posons !
Univers-nature – Les arguments des agro-semenciers sont, entre autre, la nécessité de nourrir la planète, que les anciennes variétés ne sont pas adaptées à la lutte contre certains parasites et qu’elles ne sont pas assez productives, que répondez-vous à cela ?
Dominique Guillet - Oh, c’est un vaste débat. Nous avons passé un an et demi en Inde pour lancer un centre de ressources génétiques, soit une banque de semences au service de la paysannerie indienne, et on a bien vu ce qui se passait là-bas. En Inde, il existait de 100 à 200 000 variétés de riz avant la révolution verte et après celle-ci, il n’en reste que 50 !
En fait la biodiversité a été totalement éradiquée, toutes les variétés de riz qui étaient adaptées à des terroirs bien précis ont été totalement éradiquées, le tout accompagné d’une destruction du milieu social, destruction du rôle de la femme dans la société indienne, pollution effrénée des nappes phréatiques, de l’air, du sol, etc. Quarante ans de révolution verte, un désastre total !
Et maintenant, les multinationales réattaquent avec une seconde révolution verte, à savoir la révolution des biotechnologies et ce que l’on appelle les OGM. On voit bien ce qu’a donné l’introduction de 3 variétés de coton transgénétique, un désastre total. Depuis quelques années on sait que de 15 à 20000 paysans ce sont suicidés, souvent collectivement, sur les places de villages indiens parce qu’ils étaient complètement ruinés. Quand un paysan en Inde est ruiné, que fait-il ? ou il se suicide, ou bien il part en bidonville, ou il vend sa terre à la banque ou, entre autre à Cargill, qui contrôle 70% des farines planétaires. On voit bien à quoi a mené l’agriculture moderne dans les pays du tiers-monde, ainsi que la révolution verte : à rien du tout !
Aujourd’hui, environ une personne, toutes les 2 secondes meurt de faim sur la planète, et ni la révolution verte, ni les hybride F1, ni les OGM n’ont rien changer ou ne changeront rien à cela. Ce qu’il faut c’est simplement développer de nouveau les techniques d’agrobiologie tropicale pour les pays du tiers monde, reverdir le désert… et pour cela, on a toutes les solutions : il faut un minimum d’argent et un minimum de volonté publique et politique.
Nous avons toutes les solutions pour nourrir la planète, la faim dans le monde cela n’existe pas, c’est un outil géopolitique. On sait fort bien que même en Inde, on pourrait vraisemblablement avec des techniques d’agrobiologies un petit peu intensives, nourrir plus d’un milliard d’habitants.
Univers-nature – Votre discours est très clair, sans ambiguité, néanmoins sur le mode de production vous n’avez pas une position aussi tranchée notamment en direction de la bio. Quel mode de production avez-vous adopté ?
Dominique Guillet - Il est évident que pour nous, toutes les semences qui sont produites ou distribuées par Kokopelli sont issues de l’agriculture biologique ou biodynamique. Il est hors de question de remettre en cause les fondements de ces modes de production.
Néanmoins, qu’en on voit les tendances de l’agriculture biologique actuelle que l’on peut appeler agriculture biologique productiviste, il est difficile de ne pas poser certaines questions et les différentes questions que l’on pose très fermement c’est :
- quelle est l’origine des semences utilisées ?
- quelle est l’origine et la nature des fertilisants utilisés ?
- qu’en est-il de l’aspect social, tout autant en occident que dans les pays du tiers-monde?
Si je reprend chacun des points, il faut savoir qu’en ce qui concerne la production de légumes, domaine que nous connaissons à Kokopelli, vraisemblablement plus de 90% des semences sont issues de la chimie et sont des semences hybrides F1. Donc l’agriculture biologique, quant à la production de légumes, n’utilise quasiment pas d’anciennes variétés, et pour nous un hybride F1, nous l’avons dit tout à l’heure, c’est évidemment la non-durabilité, car il génère un marché captif en vous plaçant dans l’impossibilité de refaire vos semences.
Le second point, la fertilisation; dans la majorité des domaines qui produisent des légumes en bio, il y a un manque totale d’autonomie qu’en à la fertilisation. A savoir que très peu d’agrobiologistes pratiquent en ce moment soit les rotations de cultures,soit l’utilisation des engrais verts, soit l’utilisation d’une fumure animale parce qu’ils n’ont pas d’animaux (on connait l’état de l’élevage dans ce pays ou dans les différents pays d’Europe occidentale). Donc que font les agrobio, ils téléphonent à une société qui leur amène un camion chargé de sacs en plastiques; dans les sacs en plastiques se trouvent principalement une biomasse volée au tiers-monde, à savoir du guano qui arrive de Bolivie, du tourteau de ricin et de cacao qui arrive d’Afrique, etc. et l’on trouve également tous les déchets de l’agro-industrie : de la poudre de sang, de la poudre d’os, de la poudre de plumes, des fumiers traditionnels chauffé, soi-disant, à 1000 degrés pour détruire les organophosphates ou organochlorés, on processe des algues pour en retirer des oligoéléments, etc., etc. bref on est dans une non-durabilité totale. Nous posons donc la question de la durabilité de l’agriculture biologique, qui, a nos yeux actuellement, est quasiment le contraire d’une agriculture durable.
Autre point à évoquer, l’aspect social; on a vécu en Inde pendant un an et demi, on travaille sur l’Afrique et on voit bien que dans certains domaines, fussent-ils Demeter (marque de certification des fermes biodynamiques, ndlr) il n’y a pas un gramme de matière produite sur place qui reste sur place, tout est exporté chez les blancs. Les filles sont payées dans les jardins à un dollar par jour, et même si dans un système Demeter, elles sont payées 2 dollars par jour cela ne changera pas grand chose quand à ce qu’elles vont mettre dans le bol de la famille. Pour la plupart, un dollar par jour leur suffit juste à acheter un peu de riz blanc totalement déminéralisé, et ce n’est pas cela qui va les nourrir et nourrir leurs enfants. Donc on se pose aussi la question sur le commerce équitable, quand on voit la misère dans laquelle vivent des milliards de personnes sur la planète, payées à hauteur d’un dollar par jour.
Energie
Interview : le concept Ecowatt pour lisser les pics de consommation
ÉcoWatt Bretagne est une démarche éco-citoyenne et gratuite qui a pour objectif d’inciter les bretons à modérer leur consommation d’électricité, en particulier en hiver, le matin et entre 18h et 20h. Sandrine Morassi, responsable de la communication répond aux questions d’Univers Nature.
1/ Pouvez-vous nous présenter le concept d’Ecowatt ?
Le dispositif ÉcoWatt déclenche des alertes lors des périodes à risques, dans l’esprit des journées vertes, orange ou rouges de Bison futé, afin d’inviter tous les bretons à pratiquer les bons gestes énergie.
Pour recevoir gratuitement ces alertes (par mail, sms, appli mobiles…) et ainsi procéder aux Eco’gestes, il suffit de s’inscrire depuis le site internet dédié : www.ecowatt-bretagne.fr
Aujourd’hui, la démarche compte plus de 50 000 inscrits.
2/ Comment a t-il vu le jour ? Ce dispositif peut-il être étendu aux autres régions françaises ?
La démarche ÉcoWatt Bretagne a été initiée en novembre 2008 par RTE (Réseau de Transport d’Electricité), et ses partenaires (la Préfecture de Région Bretagne, le Conseil régional de Bretagne, ERDF et l’ADEME), pour répondre aux risques de coupures d’électricité en Bretagne, lors des pics de consommation.
Ce dispositif a été mis en place en raison de la fragilité électrique que connaît la Bretagne. En effet, avec une croissance de la consommation électrique supérieure à la moyenne nationale, la Bretagne est dans une situation fragile : véritable péninsule électrique, la région est située en « bout de réseau », l’électricité devant être acheminée sur de longues distances depuis les centrales principalement situées dans la vallée de la Loire. La production est par ailleurs loin de couvrir tous les besoins, la région ne produisant que 11% de l’électricité qu’elle consomme. Dans ce contexte, les risques de coupures peuvent survenir, lors des pointes de consommation en hiver, notamment en cas d’incident sur un moyen de production ou sur le réseau électrique.
Aujourd’hui, il existe en Bretagne et en région PACA (www.ecowatt-paca.fr), les deux seules régions en France qui connaissent une situation de péninsule électrique.
3/ Le but est de lisser les pics de consommation ? Comment cela fonctionne ?
Les risques de coupure interviennent lors des pics de consommation en hiver, qui ont lieu en Bretagne le matin et le soir (entre 18h et 20h). L’enjeu est donc d’inviter les bretons à procéder aux bons gestes sur ces instants, afin de contribuer à baisser ces pointes et donc à lisser la courbe de consommation sur la journée.
4/ Quels sont les résultats dont vous disposez sur les précédentes éditions ?
A titre d’exemple, nous avons pu évaluer que, lors de la vague de froid de février 2012, les effets des gestes des inscrits durant les 7 jours de froid, se sont traduits par une réduction de la consommation qui a pu atteindre jusqu’à 2 à 3% aux heures les plus chargées, l’équivalent de la consommation cumulée des villes de Quimper, Saint-Malo et Vannes.
5/ Quelles sont les principales actions que les particuliers peuvent mettre en place pour réduire leur consommation électrique ?
Pour réduire la consommation lors des pics, il existe des gestes simples à mettre en place à la maison ou sur le lieu de travail : il s’agit par exemple d’éviter pendant le temps de l’alerte d’utiliser la machine à laver, le lave-vaisselle ou le four ; pour le chauffage électrique, de baisser le thermostat…
6/ Quel rôle peuvent jouer les énergies renouvelables dans ce système ? Quelle part représentent les énergies renouvelables au niveau régional ?
Le déclenchement d’une alerte EcoWatt dépend des prévisions de consommation réalisées par RTE, à partir de plusieurs paramètres : consommation, production, disponibilité du réseau, météo. La production émise par les énergies renouvelables est donc prise en compte. Toutefois, du fait de son intermittence, cette production est plus difficilement prévisible qu’une production classique. Aujourd’hui, RTE dispose d’un outil IPES (Insertion de la Production Eolienne et photovoltaïque sur le Système). Installé dans les dispatchings (les « tours de contrôle de l’électricité »), cet outil permet de disposer d’une prévision de production éolienne et photovoltaïque heure par heure pour la journée en cours et le lendemain, en fonction des prévisions de vent et d’ensoleillement.
La production des énergies renouvelables en Bretagne en 2012 représentait 89% de la production totale d’électricité en Bretagne.
Habitat
Interview avec Vidal Benchimol, auteur de « Vers un nouveau mode de ville»
En 2007, dans un contexte de crise écologique et économique, Vidal Benchimol conçoit les « Écofaubourgs », un concept d’habitat collectif écologique. Il vient de publier l’ouvrage « Vers un nouveau mode de ville », aux Éditions Alternatives, co-écrit avec Stéphanie Lemoine qui souhaite dresser un état des lieux des tendances et un inventaire des pratiques contemporaines de la fabrique de la ville.
Votre livre s’appelle vers un nouveau mode de ville, quel est selon vous le visage de la ville contemporaine ?
En Europe, la ville contemporaine est en pleine transformation. Les élus et les urbanistes voient bien que les modèles d’aménagement fondés sur la séparation des fonctions urbaines (on mange d’un côté, on travaille ailleurs, etc.), et qui ont prévalu ces cinquante dernières années, ne marchent pas. Il faut inventer autre chose ! C’est ce à quoi s’emploie l’urbanisme durable, qui cherche à rendre la ville plus compacte, plus économe en ressources et plus solidaire…
Quelles sont les principales mutations (habitat, mobilité, mode de consommation) qu’opère la ville depuis quelques décennies ? En quoi la ville évolue à l’aune des problématiques environnementales ?
Les transformations les plus visibles ces dernières années sont liées à la nécessité de maîtriser l’énergie. Dans le bâtiment, cela se traduit par l’adoption de réglementations thermiques plus contraignantes. Depuis l’an dernier, la RT 2012 oblige ainsi les maîtres d’ouvrage à concevoir des bâtiments 4 fois plus performants qu’un immeuble haussmannien. De la même manière, les métropoles cherchent de plus en plus à encourager les alternatives à la voiture, que ce soit via l’offre de transports en commun et de vélos en libre service ou l’aménagement de zones 30. L’objectif est de grignoter petit à petit l’espace dévolu à la voiture, en vue d’un meilleur partage modal.
Quels sont les principaux défis qui attendent la ville actuelle pour devenir « durable » ?
L’adaptation au changement climatique, avec ce qu’elle implique d’incertitude, est l’un des premiers défis auxquels doit s’affronter la ville contemporaine. Pour y faire face, les villes ont tout intérêt à devenir résilientes : elles doivent diversifier leurs modes de production, leur approvisionnement, et apprendre à compter sur les ressources locales. D’où les projets d’agriculture urbaine qui fleurissent un peu partout, mais aussi l’essor des circuits courts et de la consommation collaborative…
Selon vous, quelles sont les initiatives actuelles les plus pertinentes pour la fabrique de l’espace urbain ?
Toutes celles qui s’opposent à l’aménagement « autoritaire » de la ville, et conçoivent l’écologie urbaine en relation étroite avec la démocratie locale. Si la fabrique de l’espace urbain n’est pas le fruit d’une négociation, et même pourquoi pas d’un conflit fécond entre décideurs et citoyens, elle a peu de chance de déboucher sur un cadre de vie vraiment durable. A cet égard, l’exemple des écoquartiers nord-européens est édifiant : ceux qui parviennent le mieux à concilier qualité de vie et économie de ressources sont nés d’une implication forte de leurs habitants, et parfois d’un bras de fer corsé avec la municipalité…
Quels sont les freins actuels au développement de la ville durable ?
Ils sont nombreux ! La crise économique, qui a partiellement détourné les citoyens des enjeux écologiques, en est un. Certains voient pourtant dans cette crise une conséquence de nos choix énergétiques. La ville contemporaine est aussi de plus en plus clivée socialement. Dans ces conditions, la mixité sociale, même avec ce qu’elle a de compliqué à mettre en œuvre, devient un véritable enjeu…
Habitat
« On ne peut plus construire aujourd’hui comme il y a quelques années ou décennies »
Olivier Silder et Philippe Bovet, deux spécialistes de l’énergie et de l’habitat viennent de publier l’ouvrage « Bâtiments performants. Des constructeurs relèvent le défi du réchauffement climatique » aux éditions Terre Vivante. Philippe Bovet a répondu aux questions d’Univers Nature sur l’enjeu que représente l’habitat dans la transition énergétique.
1/ Qu’est ce qui vous a motivé à écrire cet ouvrage ?
D’abord la rencontre avec Olivier Sidler, un des énergéticiens les plus compétents d’Europe et un excellent pédagogue pour toutes ces questions énergétiques. Ensuite connaître ces décideurs qui ont compris que la donne énergétique avait changé et qu’on ne peut plus construire aujourd’hui comme il y a quelques années ou décennies.
2/ Sur quels critères avez-vous sélectionné les bâtiments ?
Des critères essentiellement géographiques, afin que nous n’ayons Olivier et moi-même peu à nous déplacer. Tous les entretiens ont eu lieu dans un triangle Paris-Valence-Mulhouse. Olivier habite dans la Drome et moi à Bâle. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’exemples intéressants en Bretagne ou à Toulouse, mais pour nous cela évitait des déplacements inutiles et nous permettaient aussi d’être cohérents en matière d’énergie et de transports.
3/Quels sont les freins actuels à lever pour favoriser la transition énergétique dans ce secteur ?
Comme je l’explique dans l’introduction, la forte inertie des mentalités entraine une certaine difficulté pour mettre en place le changement. Aussi, on relève des freins réglementaires comme la garantie décennale (qui protège pendant 10 ans après la livraison l’acquéreur contre tout vice de construction) qui opère comme un frein à l’innovation, des freins liés à à la formation et au manque de compétences de certains corps de métiers ainsi que des difficultés de financement.
4/ Quel projet a particulièrement retenu votre attention ? Pourquoi ?
Tous sont intéressants car différents. De la maison individuelle rénovée à l’immeuble neuf de bureaux à énergie positive de la ZAC de Bonne. Cette diversité montre qu’un changement est possible dans tous les secteurs du bâti et rapidement si on le veut et si on s’en donne la peine.
5/ En moyenne, quel est le surcoût pour construire des bâtiments basse consommation ?
On doit ne pas parler de surcoût, mais de surinvestissement, mais avoir ensuite des factures énergétiques plus faibles. Il y a de multiples surcoûts acceptés et jamais remis en cause, comme les places de parkings en grande partie inutile dans les centres urbains bien desservis par les transports en commun. Ou encore une entrée d’immeuble en marbre, alors que d’autres matériaux peuvent être choisis. Et au delà, le dérèglement climatique nous oblige à agir. Quand quelqu’un se noie et qu’on doit lui jeter une bouée, on ne discute pas du prix de celle-ci.
6/ C’est quoi pour vous un bâtiment intelligent ?
C’est avant tout un bâtiment low-tech (et non high-tech) performant. Il ne faut empiler les systèmes énergétiques et avoir des bâtiments complexes.
7/ La prochaine RT 2020 qui généralisera le Bepos est-elle une réponse suffisante pour atteindre les objectifs de réduction de CO2 fixés par la France ?
Absolument pas puisque nous émettons du CO2 selon 4 axes: l’habitat, les transports, les achats et les déchets. Le bâtiment n’est donc qu’un des 3 secteurs. De plus le bâtiment neuf ne représente qu’1% du parc annuel de logement mis en chantier, il faut absolument s’attaquer à la rénovation du parc existant.